La Compagnie Volte Quarte nous emmène au coeur des Mabinogion. Comme La Légende de Branwen, spectacle créé en 2011 par la compagnie, Le Sacrifice de la Dame s'inspire de l'histoire traditionnelle du 14ème siècle de la reine celte. Ici l'onirisme de l'épopée guerrière n'est plus de mise et la légende s'incarne à présent dans le vibrant témoignage de la Reine déchue, bouleversante histoire de la femme sacrifiée au nom de l'honneur des hommes dans une Irlande de l'aube des temps.
Une princesse du Pays de Galles est offerte en mariage au Roi d'Irlande afin de laver un affront public et de sceller une paix durable entre les peuples.
L'union a des débuts prometteurs et la naissance d'un fils vient couronner l'alliance.
Mais, les rancoeurs, remontant à la surface, vont ruiner les conciliations politiques et entrainer les peuples vers la destruction.
La reine sera répudiée, réduite à l'esclavage et deviendra l'enjeu d'une guerre sans merci.
Inspirée de thèmes traditionnels celtiques, la musique s'improvise d'un bout à l'autre du spectacle, véritable miroir des méandres psychologiques du personnage.
De prime abord, elle évoque par ses mélodies et ses rythmes une Irlande fantasmée, et en cela offre un univers sonore rassurant dans lequel le spectateur se laisse emporter, persuadé d'avancer sur un terrain connu puisqu'il se nourrit de
racines ancestrales, d'un tronc presque commun d'héritage.
Pourtant, associée aux mots et à l'image scénique, cette tranquillité apparente transfigure la face cachée du mythe. C'est un clair-obscur sonore qui s'échafaude, un choc des contrastes. La musique acquiert une épaisseur supplémentaire, une
densité qui concrétise le fossé entre les apparences et la réalité, entre les aveux et les non-dits.
Indispensable partenaire, elle suit le personnage comme son ombre, l'obsède, le trompe et le tourmente. Il y a l'apparence de la musique et il y a ce qu'elle chante véritablement. Le noeud est là.
Le plus ancien des manuscrits relatant la légende est en moyen gallois et date de 1350 environ. Plus aide-mémoire que réel ouvrage de littérature, l'auteur-conteur y engrangeait sans doute la « matière » de son art. N'oublions pas qu'à l'époque les traditions se conservaient et se transmettaient via l'oralité.
L'histoire de la princesse Branwen y est racontée avec beaucoup de distance, comme un observateur extérieur au propos le ferait. L'étude des sentiments n'est pas approfondie, les émotions peu développées, et la principale intéressée, qui a donné son nom à la légende, n'a pratiquement pas droit à la parole. Ce point de vue unilatéral n'offre qu'une perception limitée du mythe. Il cantonne le récit à un argument unique: un sacrifice auréolé de noblesse.
La Compagnie VolteQuarte a imaginé une ré-interprétation de l'histoire en replaçant l'héroine au centre du processus. La légende s'est muée en un monologue intimiste qui transporte le spectateur dans un univers médiéval, presque lyrique dans sa beauté. L'écriture, volontairement poétique, explore tous les codes du monde chevaleresque et nous amène par son rythme et ses mots dans l'atmosphère prégnante des temps anciens.
Au coeur de ce paysage magnifié l'insupportable réalité du propos explose. L'utilisation du « Je », du « Moi » fait jaillir la puissance émotionnelle de ce destin broyé. Le mythe, en s'incarnant, interpelle le public sur ses propres convictions et bouscule ce que des générations ont peut-être accepté, sous couvert d'héritage traditionnel.
La cellule, représentée au sol par un cercle de sable, constitue l'unique environnement de l'héroïne. Tout se déroule au sein de ce petit espace clos. Aucun élément extérieur ne vient troubler la solitude, qui permettrait d'apporter un peu d'air du dehors, un renouvellement. Un espace fermé où il faut vivre, dormir, manger, marcher, se laver, respirer …
Les jours se succèdent, jamais les mêmes malgré la permanence de l'environnement. Les jours d'espoir, les jours de courage, les jours d'attente ou de peine, les jours de colère ou d'hébétude, les douleurs, les fatigues … Cette infinie palette d'émotions et de ressentis rend le personnage incroyablement vivant et renforce la perception de son enfermement. Tant de vie, tant de souffle dans un si petit espace réduisent le monde à l'étouffement. L'héroïne est comme emmurée vivante. Elle crie mais nul ne l'entend.
Réduite au silence de l'emprisonnement, elle s'aventure de plus en plus loin sur les terres de la solitude. Parler à quelqu'un serait salvateur, mais personne ne vient, jamais. Alors elle parle, à elle-même, aux murs, à son reflet dans l'eau, au sable, aux cailloux, à tout ce qui est à portée de mains, misérables compagnons de cellule. Cette forme de divagation la soulage tout en l'entrainant vers une errance plus profonde, psychologique. Une folie intérieure à la limite de la schizophrénie transparaît progressivement. Enfermement ultime dont elle ne sortira pas.
Au centre de la cellule, une voile de bateau drakkar se déplie au fur et à mesure du spectacle. Elle laisse apparaître, sous forme d'imagerie médiévale traditionnelle, des épisodes de la vie de la Reine enfermée : le dragon rouge de son peuple, les bateaux de son exil, les guerriers et les champs de bataille, la verdoyance de son pays perdu … En brodant sa vie sur cette voile, Branwen tente de garder sa conscience vivante, ses souvenirs clairs. Elle témoigne, laisse une trace tangible qui dira son histoire comme nul autre ne pourra la raconter.
Partout où se produit ce spectacle, la Compagnie Volte Quarte nous invite à un temps de rencontre préalable pendant lequel chacun laisse sur la toile quelques points pour enrichir le tableau. Chaque participant, pour preuve de son passage, signe également la toile. Ainsi, de villes en villages, la voile de bateau et l'histoire de Branwen voyagent, emportant dans leur sillage ces noeuds, ces points et ces noms qui racontent toutes les personnes croisées au gré de l'aventure.
Plus le voyage sera long, plus l'histoire sera partagée et plus la voile de drakkar s'enrichira de couleurs. Ce ne sera plus alors la Compagnie Volte Quarte seule en scène pour dire et raconter, mais une multitude de personnes qui prendront
part au discours. La compagnie souhaite qu'un jour cette voile revienne à son port de départ où elle pourra être regardée comme une oeuvre d'humanité.
La Dame: Chrystèle Spinosi
Le musicien: Bruno Spinosi
Textes: René Lafite
Création Lumières: Tugdual Trémel
Réalisation et mise en scène : Chrystèle Spinosi
Pour tout renseignement : Cie Volte Quarte